(article déjà publié sur le blog de recherche e-AdNM)
Le collectif Ultralab a exposé dans le cadre du programme « terrain de jeu » du Jeu de Paume, L’île de paradis (version 1.15). C’est un subtil mélange entre l’univers de Stevenson qui transforme le Jeu de Paume en une île virtuelle truffée de passages secrets et l’univers de Wells qui le transpose en une époque incertaine où le musée serait recouvert par le sable, inhabité, désert.
L’espace est celui d’une île au trésor virtuelle mais sans sa carte, la seule laissée à notre disposition est celle, obligatoire, du plan d’évacuation du musée en cas d’incendie ou celle que nous avons en tête à force d’avoir parcouru, au gré des expositions, la battisse. Le collectif Ulralab a pourtant fait une carte intitulée L’île de Paradis, mais elle n’indique que les points réels de l’exposition, rien sur l’île. Une croix sur un mur est connectée avec tout un réseau de fil, c’est peut être dans le virtuel qu’il faut partir chercher.
Nous sommes seuls et nous parcourons un territoire à la fois connu et inconnu, mais à la recherche de quoi ?
Il y a toujours un objectif dans un jeu, peut être celui-ci est de trouver les passages secrets, ceux qui mènent vers l’envers du décors. Ce qui est excitant, c’est de partir à la recherche de ces contrées non exposées du Jeu de Paume, fictives ou réelles, ça n’a pas d’importance. Elles sont cachées dans l’île paradisiaque et sont son trésor. Et c’est au détour d’un escalier, sous cette virtualité tropicale riche en couleurs et en végétation, que nous tombons dans l’abîme d’une immensité grise. Une salle vertigineuse, remplie de blocs de béton virtuels, comme les déchets que l’île aurait entreposés, le derrière du virtuel. On peut descendre au cœur de la masse volumique par l’intermédiaire d’un très long escalier rappelant étrangement la forme de celui au fond du musée. Multiplié, il devient semblable à celui d’une cage d’escalier de tour HLM où la cage aurait disparue et où les blocs se seraient écroulés.
Nous sommes sous l’espace virtuel dans un dédale souterrain.
Le temps est celui d’un futur post-apocalyptique ou d’un passé mythologique où l’espèce humaine aurait totalement disparue. On sait qu’on est arrivé bien après quelque chose : catastrophe naturelle, guerre totale, épidémie… la nature a repris ses droits sur la construction humaine, donc les humains ont disparu de cet espace. Les souterrains nous mènent parmi ces salles obscures à une sorte de plaine plantée de croix, on peut penser qu’ils sont tous morts. La question reste, comment ? À côté d’une porte close où en lettres d’or est inscrit le nom de Rose Vallant, une autre salle montre une réserve d’armes rangées contre le mur, entreposées en attente de resservir. Rose Vallant est comme une preuve (re)liant le Jeu de Paume à la guerre.
Mais pour enterrer les morts, il faut bien un vivant ? Pas de cadavre, pas de squelette, on est sur une île, il a pu être entraîné par les flots où il s’est échappé… ou encore… dans une autre salle, comme suspendu au milieu de fines passerelles, un cube lumineux blanc flotte, c’est une salle vide. C’est à cet emplacement que dans les films et les romans de sciences fictions se trouve le cœur de la cité, la vérité ou l’architecte !
Le dispositif de L’île de paradis (version 1.15) permet une immersion en plusieurs strates, d’abord par les différents objets exposés en référence à l’île : sculptures, dessins, peintures, qui font partie de l’exposition réelle du Jeu de Paume, qui sont repris dans l’espace virtualisé du musée et peuvent servir de balise de repérage au visiteur virtuel. La seconde immersion se fait dans la déambulation de l’architecture virtuelle du Jeu de Paume, dans la découverte des souterrains secrets. Le visiteur intrigué part, en archéologue virtuel, à la recherche d’indices pour comprendre ce qui est arrivé ou ce qui va arriver dans ce monde si semblable au sien. Ultralab perce une partie de la frontière mythique entre le virtuel et le réel, L’île de paradis (version 1.15) devient un portail de téléporation d’un Jeu de Paume à l’autre.